Une autre justice
En 2013, avec Chloé Henry-Biabaud, nous sommes parties en Floride pour faire des interviews sur la justice et la peine de mort. Elles étaient destinées au projet HUMAN, de Yann Arthus-Bertrand.
Nous avons rencontré et interrogé plusieurs dizaines de victimes ou de détenus, et constaté, impuissantes, à un déluge de vies broyées. Mais nous avons également rencontré deux personnes qui nous ont particulièrement bouleversées : Agnès, infirmière à la retraite, et Léonard, qui assassina en 1997 Patricia et Chris, la fille et le petit-fils d’Agnès.
Léonard a été condamné à perpétuité sans possibilité d’appel. De son côté, au fil des jours, puis des mois, Agnès ne parvenait pas à faire son deuil. Elle avait besoin de comprendre. Mais en Floride, les familles de victimes n’ont pas le droit de rencontrer les coupables. Au bout de sept ans, Agnès a donc saisi sa plume pour entamer une conversation épistolaire avec Léonard. Il ne s’agissait pas de pardonner mais de dialoguer. Et tous deux se sont rendu compte que ce dialogue les aidait à se reconstruire.
Tout au long de sa vie Agnès a fait en sorte de construire quelque chose de positif à partir des évènements, mêmes tragiques, qui l’affectaient. Léonard était quant à lui un détenu redouté. La violence, lui avait permis d’asseoir sa « réputation » en prison. Agnès lui a soudain proposé autre alternative : elle l’a mis au défi de briser le cercle de la violence qui s’est installé dans les prisons. Pacifiquement.
Cela fait désormais dix ans que Agnès et Léonard s’écrivent et se parlent régulièrement au téléphone. Ils n’ont toujours pas le droit de se voir, mais des deux côtés des murs de la prison, chacun tente d’organiser un dialogue.
Nous avons alors compris que dans le combat commun de ces deux personnes, toutes deux extrêmement charismatiques, le meilleur et le pire de l’être humain dialoguent pour tâcher de transcender la fatalité. Au delà de leur histoire personnelle, leur engagement est universel.
Pour en savoir davantage, nous avons donc commencé à leur écrire. Une sorte de dialogue à quatre mains s’est noué au fil des mois. Et Agnès nous a parlé de deux autres histoires judiciaires surprenantes qui étaient arrivées dans sa ville :
Dans l’une d’elle, Connor Mac Bride, qui avait tué sa petite amie, a pu bénéficier avant son procès d’un cercle de discussion inédit, réunissant les parents de sa victime, ses propres parents et le procureur. Chacun a pu s’exprimer sur la peine qui lui semblait juste. Lors du procès qui a suivi, il a été condamné à 20 ans de prison, alors qu’il en risquait 40. Plus étonnant encore, les parents de sa victime ont obtenu le droit de lui rendre visite en prison. Agnès est en contact avec les deux familles.
Dans l’autre affaire, Eric Smallridge a écopé de 22 ans de prison pour avoir tué deux jeunes filles alors qu’il conduisait en état d’ivresse. Renee Napier, la mère d’une de ses victimes, a créé une association pour alerter les jeunes des dangers de l’alcool au volant. A force de persuasion, elle a obtenu de l’administration pénitentiaire l’autorisation de faire témoigner le prisonnier dans des écoles et des universités, en présence de la voiture accidentée. Une amitié improbable les a liés et a permis au jeune homme de voir sa peine divisée par deux lors d’un procès en appel. Aujourd’hui libre, il continue à intervenir régulièrement dans les écoles, avec Fanny et l’épave de la voiture.
Comme une évidence, nous avons décidé de filmer ces manières différentes de percevoir la justice : une justice qui cherche plus à reconstruire qu’à punir.
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